Entretien avec Geoffroy PETIT, rebouteux
Rebouteux, ce n’est pas un nom péjoratif au contraire, c’est un nom qui nous représente depuis plus de 1800 ans puisqu’on a 1800 ans d’existence. On était que 3 dans la médecine, il y avait le médecin de famille, celui qui vous avait vu naitre, et s’était occupé de vos parents et grands parents, il y avait l’herboriste, l’ancêtre du pharmacien et le rebouteux. Chacun avait sa fonction. Le médecin s’occupait de l’organique, le rebouteux de la carcasse, et l’herboriste faisait ses préparations pour les deux.
On a eu plusieurs autres noms, comme les ossiers ; en Auvergne on nous appelle rhabilleur, parce que lorsqu’une articulation est déboitée, on l’a « remmanche » on la « rhabille » .
Souvent, au Puy, on me traite de magicien, mais c’est un terme affectueux je dirais… mais ça me dérange parce que je ne fais pas de la magie, je ne fais pas de miracle, je fais de la mécanique. C’est très cartésien, même si il y en a encore quelques uns qui croient que l’on nous brulait à une certaine époque. Dans les faits on a toujours été respectés, même sous l’inquisition, parce qu’on soignait aussi le clergé. Les médecins ont été plus inquiétés que nous, parce qu’en ouvrant les corps, ils touchaient le sang, signe de diable… Ils ont évité le bucher avec peut-être le plus grand mensonge de leur histoire : une délégation est allée à Avignon expliquer au pape que le corps des personnes soumises à la question devaient être ouvert pour vérifier que le démon ne se trouvait plus à l’intérieur. Le pape les a autorisés à le faire et c’est ainsi qu’ils ont sauvé leur peau. Les rebouteux agissent sur l’intérieur du corps mais comme ils travaillent en surface, ils n’ont jamais été considérés comme des sorciers et n’ont pas eu à se cacher.
Aujourd’hui est ce que ce n’est pas compliqué d’exercer hors des clous de la médecine conventionnée ?
Pas du tout. Au contraire on vient nous chercher…. un peu tard parce que nous sommes moins de 10 rebouteux en France et une cinquantaine dans le monde. Nous sommes hautement respectés, je travaille avec des médecins généralistes, avec des hôpitaux, ceux de Vienne, Bezier Sête, Le Puy, Saint Etienne, le centre anti douleur de Lyon… ce n’est pas moi qui vais les chercher, nous les rebouteux on a assez de monde qui vient nous voir… mais on a toujours répondu présent.
Dans les années 40, lorsque la médecine a explosé, le médecin de famille s’est retrouvé le cul entre 12 chaises : entre le rhumato, le pneumologue, le cardiologue, le stomatologue, le gastroentérologue, l’ORL, l’urologue… alors ils se sont dits généralistes, et ces médecins généralistes ont remplacé progressivement les médecins de famille (qui étaient un peu comme nos frères depuis 1700 ans). Ces nouveaux médecins, en se modernisant, ont laissé tombé les guérisseurs : nous représentions la médecine archaïque face à la révolution technologique. C’était à l’époque de mon grand père…
Comment devient on rebouteux ?
On est rebouteux de père ou mère à fils ou fille. On est les seuls au monde à lire à travers la peau ce petit fil électrique qu’on appelle le nerf. En 2016 il n’existe pas encore de machine capable de remettre un nerf à sa place.
Pourquoi n’est il pas possible de transmettre ce savoir hors lien de filiation ?
On l’a fait. 3 fois. On a fait chou blanc sur les trois corporations que l’on a ouvertes et enseignées : ostéopathes en 1944, chiropracteurs 1959, étiopathe en 1977.
La génération de mon grand père s’est rendu compte que les rebouteux étaient en train de disparaitre – 40000 ils étaient passés à 10000 – leurs jeunes se tournaient vers d’autres métiers, donc forcément ils ne pouvaient pas transmettre à la génération suivante l’enseignement de quelque chose qu’ils n’avaient pas pratiqués.
Les rebouteux ont alors tout enseigné aux ostéopathes, ils ont été de très bons élèves, les meilleurs, le problème c’est qu’ils n’ont pas les yeux au bout de leur doigts, ils sont des rebouteux aveugles. Impossible de remettre un nerf à sa place si vous ne le tenez pas tendu de chaque côté, comme une corde de guitare, un spaghetti qu’on étire et qu’on remet à sa place. Il faut savoir où vous mettez le doigt, si vous ne le sentez pas, 9 fois sur 10 vous allez être à coté… Comme ils n’ont pas réussi avec le réseau nerveux, les ostéopathes sont partis dans l’articulaire.
On a tenté une nouvelle fois un enseignement. On a alors montré les gestes.. Mais les chiropracteurs eux non plus ne sentaient pas les nerfs alors ils sont partis sur l’articulaire. Ils font les même mouvements que nous sur l’os… ça fonctionne mais ça craque et c’est assez brutal.
La génération de mon père, ils n’étaient plus que 2000 rebouteux, a inventé la formation des étiopathes, toujours avec l’objectif d’enseigner les nerfs, mais pareil, les étiopathes se sont occupés de l’articulaire.
Pour le système nerveux il n’y a plus que nous. On n’a pas trouvé comment enseigner ce que nous savons faire. Nous sommes nés avec ces yeux au bout des doigts.
On est les premiers, les seuls et malheureusement les derniers électriciens du corps. Les seuls à savoir comment ça se passe, ou ça passe et quels sont les troubles inhérents à l’électricité qui passe dans ce fil.
Quels sont les troubles associés à « l‘électricité du corps » ?
Il existe 3 familles de troubles dus au traumatismes, aux mauvaises nouvelles, à des inquiétudes, des tracas, contrariétés, à des accidents de la vie – Ne confondons pas trouble et maladie. La définition de la maladie est un apport extérieur qui nous touche et nous affecte.
- La famille des cutanés : zona, hermès, eczéma, psoriasis, vitiligo, certaines formes d’urticaires (ils ne sont pas tous de contacts), verrues.
- La famille des symptômes organiques : migraines, palpitations cardiaques, ulcères, diarrhées, constipation, parfois les deux en même temps, hémorroïdes, règles (douloureuses, peu abondantes, trop abondantes, déréglées)
- La famille des troubles psychosomatiques : insomnies, crises d’angoisse, spasmophilie, anorexie, boulimie, addiction, dépression, bipolarité. Ce ne sont pas des maladies : il est où le virus ?
Dans ces troubles que vous citez, on ne parle plus du tout de mécanique ?
Si ! Absolument, on est sur des choses physiques, mécaniques. Tout simplement parce que tous ces troubles sont dus à des coups de tension. C’est un passage trop fort d’électricité dans votre fil qu’on appelle le nerf. Comme dans une maison ; votre fil prend du 220 volts, si vous faites passer 30000 volts tout va péter. C’est exactement ce qui se passe dans votre corps, une tension trop forte génère un impact électrique fort sur un moment donné. Quelques secondes suffisent.
Le mal de tête qui se déclenche après une engueulade… une poussée de psoriasis* au moment des examens… Pas besoin de corticoïdes, en effet la cortisone comme l’opium et la morphine est à utiliser avec des pincettes.
*le psoriasis c’est de la peau qui se forme, on change de peau tous entièrement tous les 7 ans, ya des endroits ou on va changer plus vite le visage, les mains, le pieds. Pour les personnes atteintes de psoriasis, cette peau va changer tous les jours toutes les semaines ou tous les mois. le derme s’amoncelle, et les surfaces supérieures non irriguées se dessèchent et blanchissent. C’est une accélération de la peau, comme la diarrhée est une accélération du système digestif.
Une chose m’intrigue, vous avez un discours assez catégorique qui pourrait être mal pris, non ? par exemple par les ostéopathes ?
On a énormément de respect pour eux et ils ont énormément de respect pour nous ; j’ai des ostéos qui viennent de toute la France pour se former pendant 3,4 jours et réapprendre les gestes archaïques. Leur problème, c’est qu’ils ont voulu mettre leur griffe, améliorer des techniques que nous n’avons pas modifiées en 1800 ans, année après année, ils perdent en efficacité.
On dit que votre savoir est transmis au fils ainé ou à la fille ainée, pourquoi l’’ainé ?
Observez la nature les portées des chats, des chiens… le premier né est le plus trapu, le plus costaud, le dernier est le plus chétif. Chez les rebouteux c’est pareil, l’ainé est celui qui a le plus de puissance, le plus de vision, le plus de sensibilité au bout des doigts. Le deuxième est un excellent magnétiseur et coupeur de feu. Mais il faut savoir que tous les rebouteux sont magnétiseurs, mais que tous les magnétiseurs ne sont pas rebouteux. On a entre 6000 et 80000 magnétiseurs en France en ce moment et on en a besoin. Heureusement qu’ils sont là parce que les rebouteux ont beaucoup de travail, difficile de prendre des jours de congés.
J’ai un grand honneur à exercer ce métier, je suis suis très fier de représenter 1800 ans de belle histoire… et cette fierté, ce plaisir d’exercer, est teinté de beaucoup de regret : les jeunes, partant sur des métiers plus futuristes, sans le vouloir bousillent ce métier vieux de 1800 ans. Mais de là à leur faire intégrer dans leur caboche de 17 ans… oui, parce qu’on est enseigné à 17 ans. Si vous vous décidez à 40 ans, souvent papa ou maman est décédé… C’est trop tard pour transmettre l’enseignement. On a essayé d’enseigner des descendants d’autres familles de rebouteux, ça ne fonctionne pas. Et c’est malheureux que les jeunes ne suivent pas, parce que nous, les rebouteux, on est indispensables.
Aujourd’hui ma fille de 11 ans se demande ce qu’elle va dire à sa maitresse si elle lui demande ce qu’elle fera plus tard… « rebouteuse, il va falloir que je leur explique. » Effectivement, si elle choisit ce métier, elle aura toute sa vie à expliquer qui elle est : « je remets les os de bout en bout, d’où le nom rebouteuse. »
Je suis moi-même rebouteux magnétiseur c’est très difficile de faire comprendre parfois.