Repenser l’Ancêtre
Depuis une quarantaine d’année les travaux consacrés aux transmissions transgénérationnelles et leur responsabilité dans nos désordres psychiques se multiplient. Citons Maria Torok et Nicolas Abraham, (L’écorce et le Noyau, 1978), Didier Dumas (L’Ange et le Fantôme, 1985), Anne Ancelin-Schützen Berger (Aïe mes aïeuls,1993)…
Ces pionniers ont observé et décrit les corrélations entre les troubles psychiques, les accidents, les pathologies et la manifestation d’un vécu ancestral dans la psyché – mémoire liée à un événement non intégré et transmis sous forme de secret via l’inconscient familial, cette dimension majeure de l’inconscient que Freud, en son temps, avait renoncé à explorer -. Ils ont défini des concepts-clés comme celui de secret, de fantôme, d’impensé généalogique… Les recherches s’accompagnent de nouveaux cadres thérapeutiques : réalisation de géno(socio)grammes, analyse transgénérationnelle, psychophanie transgénérationnelle (communication facilitée avec la mémoire de l’ancêtre en nous) mais encore thérapies de groupe en appui sur des outils comme le jeu de rôle et le psychodrame (les constellations familiales développées par Bert Hellinger), et croisent avec d’autres approches comme le décodage biologique et l’épigénétique. Un certain nombre des pratiques actuelles rejoignent les pratiques chamaniques ou psychomagiques (Jodorowsky), tant que le sujet est invité à réparer ses ancêtres et à transformer sa vie par un acte posé en conscience : le rituel. Toutes ces approches se fondent sur une vision systémique du sujet.
En d’autres termes, nous n’existons pas séparément d’un contexte et il nous faut, pour nous comprendre, considérer l’environnement dans lequel nous évoluons : lequel peut s’envisager comme la manifestation du passé dans le présent. La meilleure réponse à nos questions se trouve probablement dans l’espace qu’elles créent, à l’intérieur de nous et le meilleur rituel est celui que nous inventons nous-même.
En tant que thérapeute, notre métier consiste à accompagner les êtres dans leurs processus de prise de conscience, au plan psychique avec l’Analyse et Résolution transgénérationnelles, et au plan corporel avec un outil pour questionner nos façons de bouger, révélatrices de nos façons de penser et d’agir. Là où se ressent le besoin d’interroger ce qui n’avait pas lieu de l’être jusqu’à ce que ça fasse mal – douleur à l’épaule, à la hanche, ou à la mère – il s’agit de relier ce qui cherche en nous reconnaissance et intégration, à un ensemble plus grand. Sur le plan corporel, c’est notre squelette.
Sur le plan psychique, c’est l’Arbre de Vie que nous portons en nous (communément appelé : arbre généalogique). Le transgénérationnel propose un cadre pour objectiver l’histoire familiale sur plusieurs générations, avec des outils, des clés pour se mettre debout devant elle : ordonner les générations dans l’espace et le temps par le vecteur d’un grand rectangle en papier blanc ; regarder les faits et le récit qui en est fait, mettre les croyances qui le sous-tendent en lumière, questionner ces croyances, leur validité, au regard ce qui, aujourd’hui, fait problème…
Aujourd’hui, peut-être n’imaginons-nous même pas que les misères vécues par nos aïeuls aient été vécues par des êtres comme vous et moi : vivants.
Des êtres sensibles, aussi réprimée qu’ait été leur sensibilité. Quand on interroge nos ascendants, voilà ce qu’en général, on entend : en ce temps-là, c’était comme ça – les guerres, les morts prématurées d’enfants, etc. Et c’est vrai ! Mais qu’on naisse en Iran, au Mali, ou ici deux ou trois générations en arrière, il n’y a que des raisons de se sentir trahi(e) par ses parents quand on vous marie trop tôt, ou contre votre gré. Il a fallu une sacrée dose de coercition pour faire que ces carcans aillent de soi. Et il nous faut une volonté besoin d’autonomie pour en sortir ! Ces histoires du passé nous constituent. Elles ont modelé l’environnement où nous avons grandi et continuent d’imprégner, sinon d’empoisonner, les relations entre les hommes et les femmes.
Il faut du courage pour reconnaître en soi-même cette loi du silence, fondée sur la peur, que nous avons intégrée et qu’il nous faut braver pour lever nos résistances. Révélateur est notre regard sur le monde. Révélatrice, la relation que nous entretenons avec l’enfant, et la possibilité qu’on lui laisse d’exprimer sa curiosité légendaire. Car c’est bien lui, c’est l’enfant, qui porte la question au coeur du présent, lui dont le défi consiste à inventer sa place en CE monde…. Il est recommandé d’exercer son discernement à l’endroit de nos héritages, de confronter les valeurs, sinon l’absence de valeurs, dans ce qui nous a été transmis, d’accueillir ce qui cherche à se faire entendre au présent de nos symptômes. Et si nous posions l’amour inconditionnel au coeur des relations ?